(c) Psychozee

Horloge ! Dieu sinistre, effrayant, impassible, Dont le doigt nous menace et nous dit : « Souviens-toi »
⎯ BEAUDELAIRE

« Saphyre! », appelle l’une des responsables de l’Orphelinat. Écarquillant les yeux, Lennon tourne la tête vers ladite Saphyre, fronçant légèrement les sourcils d’incompréhension. « Saphyre! », la voix de la même responsable s’élève de nouveau alors que la jeune interpellée, pas plus âgée de cinq ans, s’avance lentement. « Saphyre, je te présente tes nouveaux parents! », s’exclame la responsable alors que les heureux parents de la nouvelle Saphyre s’agenouillent face à leur nouveau bijou et la regardent amoureusement. Leurs mains frôlent sa douce chevelure de blé alors que la nouvelle mère, émue par un tel événement, se permet de coller sa nouvelle poupée contre elle, embrassant sa tête à de multiples reprises. Le nouveau père regarde sa trophée alors qu’il glisse sa main sur le dos de son épouse, profondément touché par ce spectacle s’offrant sous ses yeux. La responsable devient aussitôt émue. Un peu trop faiblarde pour un tel emploi, pense-t-elle précisément alors qu’elle essuie les larmes glissant sur ses joues... Larmes têtues qui démontrent, à contrecœur, leur présence. Les nouveaux parents se relèvent, remercient la responsable et, tenant chacun une main de leur nouvel ajout, il s’avancent vers la sortie. Avant de franchir la porte de sortie, la jeune Saphyre tourne la tête vers Lennon. Leur regard aussitôt croisé, Lennon demeure immobile... Ses épaules se relâchent, ses pas s’avancent alors qu’elle ne comprend pas que font ces gens... Pourquoi lui prennent-ils sa meilleure amie? Où l’emmenent-ils? Va-t-elle revenir? La poupée que Lennon tenait de ses deux mains retrouve rapidement et brusquement le plancher alors que la gamine s’avance plus rapidement. Mais...? Qu’est-ce? Une main lui agrippe le bras... « Non! », s’écrie aussitôt Lennon, tentant de se défaire de l’emprise de la responsable, mais en vain. De son côté, Saphyre imite sa meilleure amie alors que les nouveaux parents, troublés par un tel comportement, tire leur nouvelle addition vers la sortie au point où sa présence n’est plus qu’un souvenir fracturé.

Uns par uns, ils disparaissaient de son entourage... Tel des poissons pêchés par les plus capricieux des pêcheurs... Et ce caprice, Lennon commençait doucement à le déceler lorsque ces hommes et ces femmes, avides de devenir parents, enthousiastes à l’idée d’emmener l’un de ces enfants démunis avec eux et de l’accueillir dans leur vaste demeure, entraient dans l’orphelinat. Mais plus les années passaient, plus les parents devenaient capricieux. Elle les voyaient tous partir... Elle les voyaient tous se faire arracher de ses mains... Elle les voyaient tous devenir comme Saphyre : l’objet d’un passé tourmenté. Et lorsqu’elle atteint l’âge de treize ans, l’espoir d’être choisie se réduit à néant. Aucun nouveau parent ne veut d’une adolescente! Surtout pas une adolescente comme Lennon. La société ne voulait pas d’elle?... Alors elle ne veut pas de la société.

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Les briques froides et humides de l’établissement cause à son corps frêle de se parer d’un frisson incontrôlable alors que son dos y est lourdement collé. Une main nichée dans ses pantalons noirs alors que l’autre, machinalement, colle sa cigarette contre ses lèvres afin d’en tirer une longue bouffée. Les yeux clos, elle sent la fumée envahir ses poumons alors que, doucement, elle la recrache. Bercée par le martèlement des gouttes de pluie contre le plancher de béton, un sourire anime les lèvres de Lennon alors qu’un seul mot lui vient à l’esprit : liberté. C’est aujourd’hui qu’elle défait ces chaines autour de ses pieds. C’est aujourd’hui qu’elle déploie ses ailes et qu’elle s’envole enfin. Qu’elle quitte cet endroit dont les souvenirs sont tous digne de l’oubli. Partir... Partir sans faire demi-tour. Partir sans jeter un coup d’œil vers l’arrière.

Une dernière bouffée de cigarette envahit ses poumons alors qu’elle jette un regard vers la porte principale de l’établissement tout en recrachant la fumée grisâtre d’entre ses lèvres. Lennon est reconnu à travers l’établissement pour ses tentatives de fuite. Ciel ! S’il y a une orpheline dans cet établissement dont un dossier aussi épais que la bible lui est monté, c’est bel et bien Lennon. Depuis l’âge de treize ans, l’adolescente ne faisait que fuir... Les réprimandes et les corrections ne tardaient pas à suivre ces tentatives, certes, mais ne l’empêchaient pas de tenter une fois de plus. Mais il y a quelque chose à propos d’aujourd’hui. Quelque chose dont la jeune Hemmingway ne peut vraiment expliquer mais... Elle a un pressentiment que si elle prend l’initiative de s’éclipser, elle ne verrait plus jamais cet établissement. Laissant tomber la cigarette d’entre son index et son pouce, elle l’étouffe avec son pied avant de se mettre subtilement en marche. Du haut de ses seize ans, l’adolescente monte soigneusement la clôture séparant le monde réel de sa propre prison personnelle. Sa lèvre inférieure prisonnière de ses perles blanches, elle se donne un élan avant de sauter du sommet de la clôture pour atterrir sur ses pieds, de l’autre côté de celle-ci. Tel un félin ne manquant aucun tact, l’adolescente glisse la capuche de sa veste par dessus sa tête avant de se mettre à courir.

Courir... Courir sans savoir nécessairement où aller. Courir jusqu’à en perdre le souffle. Courir jusqu’a épuiser le lot d’énergie que pouvait contenir son corps frêle. Courir en contournant les obstacles... Courir sans chercher de refuge. Courir pour s’éloigner. Courir pour partir.. Courir pour s’assurer être suffisamment loin de l’orphelinat afin d’arrêter. Courir jusqu’à ne plus voir devant elle, mais courir sans s’arrêter. Finalement, elle regrette cette dernière cigarette qui l’affaiblit lors de sa course. Ses vêtements imbibés d’eau, un mélange de sueur et de pluie, l’orpheline bifurque dans une ruelle où elle trouve refuge, le temps de reprendre ses forces. Accroupie en dessous d’un escalier, des cris en provenance de l’intérieur de l’immeuble lui glace le sang. Des hurlements... Elle peut, à travers le bruit des objets qui se font lancés et fracassés, que l’entretient entre cette femme et cet homme est loin d’être cordial.

UNDERCO