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Il n'y a rien de très intéressant à raconter sur l'enfance, c'est un moment particulièrement agaçant pour les parents et particulièrement hilarant pour les enfants, en considérant le fait d'être dans la famille française typique. Deux parents, trois enfants et un chien, encore un chat et le tableau de famille aurait été parfait ! Renan était au centre avec un frère plus âgé de six ans et une sœur plus jeune d'un an, ils ne se sont jamais entendus, toujours crêpé le chignon au grand agacement de leurs parents qui ne supportaient pas de voir leurs enfants se disputer sans cesse. La mère doté d'un caractère aussi débonnaire qu'un Saint-Bernard ne comprenait pas que ses petits trésors – comme elle les appelait – puissent se détester à ce point alors qu'elle et son époux faisaient tout pour leur donner une petite vie de famille idéale. Au fond, Renan n'a jamais réellement haït ce frère trop parfait qui semblait tellement appliqué que même lorsqu'il marchait, on avait l'impression qu'il était en train de sauver le monde. Brice – puisque tel était son nom – s'entendait bien avec la benjamine de la famille, Coralie qui était aussi insupportable que son prénom. Tous les deux dégoulinaient d'amour fraternel et ne comprenaient pas que leur autre frère ne puisse pas partager leur passion pour la collection des cartes de football ou les après-midi entre frères et sœurs. C'était comme ça. Renan n'aimait pas passer du temps avec sa famille, il n'en voyait pas l'intérêt, ces personnes étaient irrémédiablement liées à lui, ils partageaient le même sang et comme son père le lui faisait toujours savoir, ils garderaient toujours contact. Pourquoi perdre son temps à cultiver un lien déjà aussi solide ? Mieux valait se pencher sur le reste, même si cela ne plaisait pas aux autres.

Si l'enfance n'était pas intéressante, l'adolescence l'était déjà plus. Renan apprit rapidement comment se faire des amis, des sourires faussement aimables, se moquer des plus faibles et faire savoir aux plus populaires qu'il était bon de l'avoir de son côté. Les gens en marge de la société étaient toujours repoussés, le jeune homme fit donc tout son possible pour se forger une identité qui éveillait l'intérêt des autres. Les études ne l'intéressaient pas, de toute manière il ne prévoyait pas d'aller à l'université ou d'entrer dans de grandes écoles, il préférait donc passer son temps à essayer de se faire des amis et à aller s'amuser avec eux, plutôt que de rester à la maison pour partager un repas de famille ou encore faire ses devoirs. Il redoubla une fois en raison de son manque de travail, fut rappelé à l'ordre par ses parents qui ne pouvaient pas s'empêcher de le comparer aux autres enfants de la famille, mais rien n'y fit. A quoi bon se fatiguer à travailler et à essayer d'avoir de bonnes notes alors que les sportifs de l'école réussissaient à se faire accepter dans les meilleurs universités simplement parce qu'ils étaient doués en sport ? Une injustice qui n'aidait pas à améliorer les relations au sein de la famille. Renan n'était pas extrêmement bon en sport, pas plus que la moyenne pour être franc, il se contentait donc d'être le pote sympa que l'on invitait aux soirées branchées. Tout marcha plutôt bien durant les années qui précédèrent l'université.

Le niveau scolaire de Renan n'était pas suffisamment bon pour postuler dans une université, ce n'était pas comme si cette annonce le désola, au contraire, mais les parents du jeune homme furent sincèrement peinés de cela et le lui firent savoir. Peu lui chalait, enfin libéré il entreprit de chercher un travail, bien que pour être sincère, rien ne lui semblait suffisamment intéressant pour mériter qu'il s'y attarde. Finalement, après quelques mois de recherche infructueuse ce fut l'oncle de Renan qui proposa une solution : thanatopracteur dans sa ville, il avait besoin d'un assistant et suggéra que le jeune homme devienne son apprenti pour pouvoir ensuite l'aider dans l'entreprise familiale. Même si le métier n'avait rien de bien glamour, il n'y avait pas le choix et tout fut rapidement décidé. Renan s'envola donc pour aller vivre avec son oncle dans cette fameuse ville qu'il ne connaissait absolument pas et ce fut une période assez compliquée, le temps de prendre ses marques et de pouvoir tisser des liens avec cet oncle qu'il n'avait jamais appris à connaître. Juste ce qu'il fallait pour ne pas se faire jeter à la rue, mais sans devenir dégoulinant de bons sentiments pour autant. Il apprit donc le métier que son oncle lui enseignait et devint son associé quelques années plus tard, bien que Renan était toujours plus souvent dehors à vadrouiller qu'à travailler.

Pendant ce temps, Brice et Coralie étaient sortis de l'université et avaient réussi à avoir un bon travail, quelques mois plus tard Renan reçu une invitation au mariage de Brice qui avait décidé d'épouser sa petite amie avec qui il vivait depuis plusieurs années. Le jeune homme ne répondit pas, son oncle se rendit seul aux festivités, il n'avait plus aucune envie d'avoir de liens avec cette famille, pas plus que des lettres et de brefs appels du moins.
Tout le monde faisait sa petite vie, Renan quitta le domicile de son oncle pour s'installer dans un petit appartement à l'autre bout de la ville alors que sa sœur cadette partait pour l'Europe de l'Est où elle avait décroché un poste intéressant. Puis ce fut le tour de Brice qui annonça dans un courriel à son frère, que sa femme était enceinte et allait bientôt avoir une petite fille. Renan n'y répondit pas. Brice s'obstinait depuis des années à envoyer des messages dans le vide.

De son côté, Renan occupait toujours le même boulot avec son oncle et se concentrait essentiellement sur sa vie privée, essayant de tisser des liens avec des personnes intéressantes, fréquentant de temps en temps des filles, mais sans que cela ne dure beaucoup plus de quelques semaines, mois tout au plus. Il était trop égoïste pour la vie à deux comme le disait son oncle. C'était un fait indéniable qui revenait toujours lorsqu'on parlait de lui.

Il eut l'occasion de le prouver lorsque quelques années plus tard, un appel le tira du lit pour lui annoncer que Brice, son épouse et leur fille, avaient eu un accident de la circulation en « revenant de vacances ». Brice et son épouse étaient morts, quand à la leur petite fille, elle avait été miraculeusement épargnée. Bien que Renan ne le sait toujours pas à ce jour, ce soit-disant accident était en réalité lié au métier de son frère et de son épouse qui étaient tous les deux membres d'une agence d'espionnage. Leur mort avait donc été camouflée en accident, mais découlait de l'échec d'une mission à laquelle le couple prenait part. Quoi qu'il en soit, il fallait lui trouver de nouveaux parents, les grands-parents de la petite ne pouvaient plus s'en occuper puisqu'ils avaient eu des problèmes de santé graves quelques années plus tôt et l'épouse de Brice était de la DASS, elle n'avait pas de famille. Renan tenta de joindre Coralie pour lui demander de rentrer au pays s'occuper de sa nièce, mais la jeune femme avait trop de responsabilités et une famille qu'elle ne pouvait pas laisser tomber, quand à faire venir la petite en Roumanie, c'était tout bonnement inimaginable. La vie était trop rude là-bas. Ce fut donc Renan qui fut désigné pour prendre la fille de son frère, sauf que lui n'avait aucune envie de se retrouver avec une petite sur les bras, qui plus est qu'il ne connaissait ni d'Ève ni d'Adam ! Mais les services sociaux furent clairs : Si la petite n'avait pas de famille proche pour l'accueillir, elle serait donnée à un orphelinat qui s'occuperait de la placer dans une autre famille. Il fallut que l'assistante sociale fasse savoir à Renan qu'il aurait droit à des aides financières pour élever le petite, pour qu'il accepte de le faire. Ce fut le premier et dernier geste qu'il fit pour sa famille. Et il était guidé uniquement par l'appât du gain.

Il fit la connaissance de Joyce un matin alors qu'il était allé la chercher à l'orphelinat, elle n'avait que six ans et ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Renan dû chambouler toutes ses habitudes, trouver un appartement avec deux chambres, l'inscrire à l'école du quartier, lui trouver une nounou pour s'occuper d'elle lorsqu'il était au travail, en somme un mode de vie qu'il ne voulait pas et ne cherchait pas depuis son enfance. C'était elle la responsable malgré son jeune âge, il n'en venait pas jusqu'à regretter qu'elle soit encore en vie, mais il en voulait à sa sœur de ne pas avoir été là pour le sauver de ces ennuis. Même si Joyce n'y pouvait rien, son oncle faisait tout son possible pour lui faire comprendre qu'elle n'était pas la bienvenue dans sa vie. Elle n'était là que pour le profit. On est salaud ou on ne l'est pas.