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Parce qu'un homme sans mémoire est un homme sans vie


Deux heures du matin. Nathaniel se réveilla en sursaut. Assis sur son lit, il vérifia les recoins de la pièce en un coup d’œil histoire de voir s’il était bel et bien seul. Une fois qu’il s’en fut assuré, il essaya de retrouver une respiration normale. Afin de s’y aider, il passa ses doigts dans ses cheveux mi-longs. Encore ce même rêve qui le hantait depuis des mois. Un rêve où deux cadavres gisaient sur le sol, baignant dans leur propre sang. Comme un spectateur de cette horrible scène, Nathaniel s’approchait petit à petit d’eux mais, au moment où il se baissait pour les aider, les deux corps ouvraient les yeux brusquement provoquant à chaque fois son réveil.
Les pulsations de son cœur se calmèrent petit à petit, cependant, il savait parfaitement qu’il ne retrouverait pas le sommeil de si tôt. Ecartant les draps qui étaient maintenant plaqués sur sa peau à cause de la sueur, il se leva et se rendit dans sa salle de bain. Il s’observa quelques secondes dans le miroir, posant ses mains sur le lavabo. Qu’est-ce qui ne tournait pas rond chez lui ? Il s’était déjà posé la question des milliers de fois sans jamais trouver la réponse. Oh, bien sûr, il aurait pu consulter un psy’ mais il ne croyait pas à toutes ces conneries et, surtout, il ne voulait pas s’asseoir dans un fauteuil et raconter sa vie, d’autant qu’il n’en avait aucun souvenir précis. Dépité, il avala deux somnifères d’un coup et alla se recoucher. Avec ça, il parviendrait au moins à dormir quelques heures à la suite.

***

Nathaniel buvait maintenant son … dixième verre de whiskey. Habitué du bar dans lequel il se trouvait, il passait ses soirées dans cet endroit à ruminer sur le fiasco qu’était sa vie. Généralement, il sortait de là la vue trouble, peinant à retrouver le chemin de son appartement. Bref, inutile de dire qu’il n’était plus que l’ombre de lui-même lorsqu’il était saoul. Taciturne, il ne parlait jamais, même pas au barman si ce n’était pour lui demander de lui remettre un coup. Toutefois, il pouvait faire une exception lorsqu’une opportunité se présentait. Ainsi, lorsqu’il vit une jolie blonde s’asseoir à côté de lui, il ne put s’empêcher de lever les yeux vers elle. Ne prenant même pas la peine de lui adresser un sourire, il la regarda comme s’il essayait de détailler chaque trait de son visage. La demoiselle avait l’air d’apprécier qu’on la remarque étant donné qu’elle soutint son regard sans rougir. Très intéressé, Nathaniel fit signe au barman de lui remettre deux verres. Après tout, s’il pouvait finir la soirée accompagné, ce n’en serait que mieux.
Mais, au moment où la demoiselle entama son verre, un molosse de 2m de haut fit son apparition. Passablement éméché, Nathaniel peina à comprendre ce qu’il était entrain de lui vociférer. « Eloigne toi de ma copine » Nathaniel faillit lui rétorquer que c’était elle qui l’avait approché mais, déjà, un coup de poing l’atteignit en pleine mâchoire. Saoul comme un polonais, il ne l’avait pas vu venir. Sous le coup, il ferma les yeux, se contentant de poser ses doigts sur sa lèvre fendue. Mais, lorsqu’il les rouvrit, son regard était de nouveau clair, enflammé à l’idée de faire payer à cet abruti l’humiliation qu’il venait de lui infliger. D’un seul coup, il se releva et le frappa de toutes ses forces dans la mâchoire. Un craquement se fit entendre tandis que l’homme reculait d’un pas. Ne s’arrêtant pas en si bon chemin, il l’attrapa par les cheveux et cogna plusieurs fois sa tête contre le comptoir du bar avec une violence insoupçonnée. Une fois qu’il eut perdu connaissance, Nathaniel s’arrêta, horrifié. Voyant que tous les regards étaient tournés vers lui, il se sentit extrêmement gêné ; il détestait attirer l’attention. Faisant comme si ce qu’il venait de faire était parfaitement normal, il se retourna vers la fille. « Tu viens chez moi ? » Voilà ce à quoi rimait sa vie : violence, alcool, sexe et drogues.

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« Remplissez ce formulaire et vous recevrez une réponse dans quelques semaines » lui annonça la jeune réceptionniste qui était présente dans les lieux. A contrecœur, Nathaniel se saisit du bout de papier et alla s’asseoir à une table non loin de là. Bien évidemment, les premières données qu’il dut mentionner furent son nom, son prénom, son âge et son lieu de naissance. Posant le bic contre sa joue, il se retint de ne pas rire. Il savait que mettre « inconnu » dans toutes ces cases aurait fait mauvais genre donc il le remplit avec les caractéristiques qu’il s’était choisi arbitrairement. En effet, lorsque son amnésie avait été diagnostiquée, aucun papier d’identité n’avait été retrouvé à côté de lui. Aux yeux du monde, il n’était … personne. Du coup, histoire de le faire exister, les policiers lui avaient demandé de se choisir une nouvelle personnalité, ce qu’il avait fait. Bien vite vint la question du « passé professionnel ». Là encore, Nathaniel n’en avait aucune idée. A vrai dire, mis à part cette dernière année, il ne se souvenait de rien du tout. Il ignorait s’il avait de la famille, une femme ou des enfants. C’était à devenir fou. Tapotant son bic sur la table, il finit par s’inventer un parcours, le même que sur un autre formulaire. Peu à peu, à l’aide de mensonges, Nathaniel reconstituait un semblant de vie inventée de toutes pièces. Au bout de dix minutes, il jeta négligemment son formulaire sur une pile déjà grosse : s’engager à l’armée lui paraissait la meilleure option.

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Autre nuit, autre rêve. Maintenant, il apercevait une femme blonde, charmante, qui le regardait de ses grands yeux bleus. Même si elle n’était qu’un produit de son imagination, il la trouvait tout simplement parfaite. Ses longs cheveux semblaient voler dans les airs comme ceux d’un ange. A chaque fois qu’il rêvait d’elle, Nathaniel avait l’envie folle de ne jamais se réveiller. Ce visage l’apaisait plus que tous les médicaments qu’il prenait pour tenir le coup. Bip bip bip. La sonnerie du réveil. Maudissant de tout son être la personne qui avait inventé cet objet, Nathaniel essaya de se rendormir afin de continuer ce doux rêve mais, malheureusement, il n’y parvint pas. Ce n’était pas la première fois qu’il rêvait d’elle. En fait, cela lui arrivait de plus en plus souvent. Encore une bizarrerie de plus à rajouter à sa longue liste. Il s’habilla à la hâte et sortit de son appartement. Une fois dehors, il faillit avoir le choc de sa vie. Elle était là, devant lui, dans une voiture ; elle l’observait. Abasourdi, il la fixa quelques secondes avant de la voir démarrer en trombe. Avait-il rêvé ou était-ce vraiment la fille qui hantait ces songes depuis des mois ?

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« Mon père, pardonnez-moi car j’ai pêché » chuchota-t-il dans le petit cagibi séparé par une grille, les mains jointes. De l’autre côté, le père de la paroisse qu’il fréquentait, la seule personne à tout savoir de lui. « Je t’écoute mon fils » « Ça s’est passé hier, dans le bar, un homme est venu me provoquer et … » « Ne me dis pas que tu l’as encore tabassé, Nathaniel » dit le Père avec lassitude. Honteux, Nathaniel préféra ne rien répondre. « A force, je ne pourrais plus t’absoudre, tu sais. Tu dois absolument te ressaisir » Inquiet à l’idée de ne plus être pardonné par le Seigneur, Nathaniel essaya de se justifier. « Ce n’est pas ma faute, j’ai l’impression que … mon corps agit sans me demander la permission. Je n’ai pas envie de frapper ces hommes mais alors même que je me dis que je ne le ferai pas, ils sont déjà à terre. Je ne sais pas quoi faire. Je suis perdu. Vous devez m’aider à me sortir de là » dit-il presque suppliant. « Arrête la drogue et la boisson, tu auras déjà les idées plus claires » Après une courte conversation et plusieurs prières, le prêtre, lassé, finit par prononcer ces mots lui signalant ainsi qu’il était lavé de tout péché. « Que Dieu notre Père vous montre sa miséricorde ! Par la mort et la Résurrection de son Fils, il a réconcilié le monde avec lui et il a envoyé l’Esprit Saint pour la rémission des péchés ; par leministère de l’Église, qu’il vous donne le pardon et la paix ! Et moi, au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, je vous pardonne tous vos péchés » Avec inquiétude, il le regarda sortir de son église. Il savait très bien qu’il ne tarderait pas à revenir avec toujours les mêmes histoires.

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Nu devant le miroir, Nathaniel s’inspecta sous toutes les coutures. Du bout des doigts, il toucha les nombreuses cicatrices qui parcourraient sa peau de long en large. Il n’avait aucune idée de la manière dont il s’était fait ça mais certaines étaient plus profondes que d’autres. Inquiet, il se demanda quel genre d’homme il avait bien pu être par le passé et, surtout, quel genre d’homme il était devenu. Chaque jour qui passait, il essayait de faire bonne figure mais, au fond, il n’était qu’une épave solitaire perdue dans un monde trop grand pour lui. Ses rêves l’obsédaient et, parfois, il se demandait s’ils étaient réels ou fictifs. Et si cette femme dont il rêvait toujours avait fait partie de sa vie à un moment donné ? Il était fou, fou de ne pas savoir. Désespéré, il aspira la ligne de poudre blanche qui était présente sur la table. Grâce à la drogue, il avait bon espoir d’avoir accès à des souvenirs cachés profondément. Selon lui, ses souvenirs devaient être quelque part dans son esprit, il suffisait simplement de les retrouver. Et, comme chaque soir, il finit par s’endormir, complètement défoncé.

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Emprisonné dans un monde d’alcool, Nathaniel titubait se cognant contre chaque objet qui lui faisait face, tantôt un mur, tantôt un lampadaire. Mais, pour une fois, il avait une idée précise de l’endroit où il se rendait. Cela ne pouvait plus continuer comme cela : il était seul, dépressif, inutile et amnésique. Franchement, à quoi cela servait encore de vivre ? Il avait fini par réaliser que ses rêves n’étaient que des rêves loufoques, non des souvenirs. La blonde qu’il avait cru voir n’existait pas, ce n’était qu’un produit de son imagination. Sa bouteille d’alcool à la main, il traversa la rue sans même prendre la peine de regarder si une voiture n’arrivait pas. Sa destination : le pont. Il allait mettre un terme à tout ça sur le champ. Buvant un énième coup à même le goulot – renversant par la même occasion une bonne partie de sa bouteille sur lui – il essaya tant bien que mal de se hisser sur le rebord du pont. Sa chute le tuerait et tout serait fini. Toutefois, au moment où il tenta de se mettre debout, il entendit une voix flûtée l’appeler par son prénom. Surpris, il se retourna. La femme blonde dont il rêvait était là, juste devant lui, au volant de sa voiture, la même qu’il avait vue ce fameux jour en sortant de son appartement. « Ce serait dommage de te tuer de cette manière, tu ne crois pas ? Tu n’en as pas encore fini, Nathaniel. Reste parmi nous » Mais lorsqu’il tenta de la rejoindre, elle redémarra son moteur et partit. Au fond, peut-être que tous ces rêves étaient bel et bien des souvenirs.