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La vie est une escroquerie


Douze ans s'étaient écoulés et, pourtant, ils ne dérogeaient pas à la tradition. Chaque année, le 26 mai au matin, Grace et son père se rendaient au cimetière de la Chapelle Saint-Paul, en plein Manhattan. Le 26 mai, le jour de la naissance de Grace, le jour de la mort de sa mère. L'idée qu'une femme ait pu mourir en lui donnant la vie avait pendant longtemps perturbé la jeune fille. A présent... Disons qu'elle s'y était faite, tout simplement. Elle avait causé la mort de sa propre mère. Et, fort heureusement, son père ne lui en tenait pas rigueur. Et, à chacun des anniversaires de sa seule et unique enfant, il se retrouvait à improviser pour honorer la mémoire de sa défunte femme tout en faisant plaisir à sa fille.

Malgré la traditionnelle visite de la tombe de sa mère, il fallait avouer que son anniversaire restait le jour préféré de Grace. Parce qu'à chaque fois son père se libérait de son travail pour passer la journée entière à s'occuper d'elle. C'était bien trop rare pour la mettre en joie à chaque fois - même à Noël dernier, il avait dû retourner à son travail avant même le repas du midi, la laissant seule avec sa grand-mère. Mais le 26 mai était toujours, absolument toujours, le jour qui leur était réservé. Et, aujourd'hui plus que n'importe quel autre jour, son père se pliait en quatre pour faire plaisir à sa princesse, comme il l'appelait. Les habitudes, en douze ans, avaient tout de même fini par s'ancrer. Ainsi, le matin, il lui préparait toujours des pancakes, appelait l'école pour les informer que Grace Stevens se sentait mal ce matin et qu'elle ne viendrait pas, et à la place, l'emmenait au cinéma. Puis, ils allaient visiter la tombe de Eva Stevens, née Martins, avant d'aller au restaurant. L'après-midi ? Ils faisaient les magasins et, grosso modo, il achetait tout ce que la fillette désirait. Ils rentraient ensuite chez eux et, selon les fois, mangeaient tous les deux ou avec de la famille. Quoiqu'il en soit, son père venait toujours la border. Et le lendemain matin, c'était sa nounou qui venait réveiller Grace (oui, même à douze ans, on ne laissait pas sa progéniture seule, voyons), parce que son père était déjà parti travailler depuis belle lurette. A force, elle en venait même à se demander s'il ne filait pas au bureau dès qu'elle avait fermé l'œil.

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Son père, Grace l'avait toujours adoré, voire adulé, malgré (ou à cause, qui sait, la psychologie, c'était parfois étrange) ses absences. C'était certainement cela qui l'avait empêché de devenir une de ces pétasses capricieuses qu'elle fréquentait au lycée, toutes ces pimbêches qui se croyaient supérieures parce que leurs parents gagnaient de l'argent et qu'elles vivaient en plein Manhattan. Ces filles, la blondinette, du haut de ses seize ans, ne les supportait pas. Pourquoi, alors, s'était-elle retrouvée à une soirée so hype organisée par tous ces fils et filles de ? Difficile à dire. Elle avait voulu essayer, certainement, histoire de voir ce qu'elle loupait. Et voilà qu'elle se retrouvait au poste de police avec un peu trop d'alcool dans le sang. Tout ça parce que Mandy Petterson avait fait des mélanges étranges au point de faire un malaise, et qu'ils avaient dû appeler une ambulance. Franchement, on ne l'y reprendrait plus, à ce genre de plans foireux... Quoique, au moins cette mésaventure allait fermer le clapet de cette chère Mandy. Ça ferait des vacances à tout le monde, tiens.

Toujours est-il qu'une bonne partie de ses compagnons d'infortune avaient déjà été récupérés par leurs parents, parfois en larmes, d'autres fois, fous de rage. Et Grace, elle, attendait toujours dans une cellule qui puait à présent l'alcool. La seule chose qu'elle espérait, c'était que la fille à côté d'elle ne vomisse pas sur ses chaussures. Elle n'eut, fort heureusement, pas le temps de le faire puisque leur geôlier s'approcha une nouvelle fois de la grille, appelant, cette fois-ci, Miss Stevens. L'adolescente se redressa aussitôt, la terre tangua dangereusement sous ses pieds mais elle fit son possible pour avancer vers la sortie dignement. Elle ne savait pas trop à quoi s'attendre de la part de son paternel, cette fois-ci. Ils riraient certainement de cette histoire dans dix ans, mais ce soir, non. Personne n'aimait aller récupérer sa fille au commissariat, complètement saoule. Autant dire que la demoiselle s'attendait à presque tout : de l'engueulade en règle au regard lourd de sous-entendu et plein de déception. Mais, avouons-le, pas à ça. Quand elle releva les yeux, légèrement honteuse, une fois dans le hall d'entrée, elle ne vit pas son père mais Sarah, la femme qui s'occupait d'elle depuis qu'elle était toute gamine (oui, elle n'utiliserait pas le mot nourrice, pas à seize ans, voyons). Grace fronça aussitôt les sourcils, piquée dans son orgueil. Il n'avait même pas pris la peine de se déplacer. Elle demanda alors froidement :

« Qu'est-ce que tu fais ici ?
- Je te ramène à la maison, jeune fille. Et crois-moi, ton père n'était pas content quand il a appris ce qu'il s'était passé. »

Ce qu'il s'était passé ? Pas grand chose : l'adolescente avait déjoué la vigilance de Sarah pour sortir, avait trop bu, et fumé des trucs plus forts qu'une cigarette, les autres drogues, elle n'y touchait pas. Enfin, tout cela n'était pas légal, et elle ne comptait pas s'en vanter, non plus. D'ailleurs, avoir fini au poste de police lui ôtait le droit de se plaindre ou de réclamer quoique ce soit. Pourtant, elle haussa les épaules et répliqua :

« Oui, et il t'a chargée de m'engueuler à sa place, également ? »

Sarah rougit aussitôt, signe que Grace avait réussi à l'énerver. Toutefois, elle était plutôt douée pour dissimuler toutes ses émotions derrière d'aimables sourires. C'en est d'ailleurs un qu'elle adressa au policier pour lui dire :

« Excusez-nous pour le dérangement. Bonne soirée à vous. »

Puis elle attrapa fermement Grace par le bras pour l'emmener avec elle. Le regard noir qu'elle lui lança si tôt la porte du commissariat passé lui confirma qu'elle avait vu juste : son père n'était même pas capable de lui passer un savon ou de la punir lui-même. Elle doutait que son métier soit important au point qu'il ne puisse pas se libérer une heure pour recadrer sa fille...

◊

Son père avait insisté pour qu'elle aille à l'Université, alors Grace avait obéi, même si elle pensait que c'était de l'argent fichu en l'air. Ce qu'elle voulait faire de sa vie ? Elle le savait depuis un moment. Mais il ne voulait rien entendre tant qu'elle n'avait pas fait d'études supérieures. Pour mettre fin à ce casse-tête, la jeune femme avait donc cédé, tout en travaillant à côté pour un détective privé du coin, quand bien même elle n'avait pas besoin du salaire, et que cela déplaisait à son paternel. Cela faisait six mois, toutefois qu'elle n'avait pas mis les pieds au bureau de "Blake et associés" (même si le Blake en question était tout seul). En fait, cela faisait six mois qu'elle n'avait pas foulé le sol new-yorkais puisqu'elle faisait sa dernière année de licence, en France, à la Sorbonne, plus précisément. Grace s'en fichait pas mal, du contenu de ses cours puisque, ce qui l'intéressait, c'était de voyager à travers l'Europe. De toute manière, elle avait toujours été une élève moyenne à l'école, personne ne s'attendait donc à ce qu'elle brille à l'Université...

Toujours est-il que Grace attendait une de ses amies françaises, dans un bar, afin qu'elles aillent au musée pour voir elle ne savait quelle exposition après avoir bu un verre, quand il l'aborda. Cheveux châtains, yeux clairs, un sourire en coin, il s'assit sans gêne en face d'elle et demanda simplement :

« Je peux t'offrir un verre ? »

La blondinette ne put empêcher un rire moqueur de franchir ses lèvres. Puis, comme il ne bougeait pas et continuait à la fixer, elle répliqua :

« Tu espérais vraiment que ça marche ? »

Cette phrase, destinée à le faire fuir n'eut pas l'effet escompté, le type semblait coriace, à la limite du lourd, quoique ses sourires en coin amusaient Grace :

« Oh, c'est quoi cet accent ? Tu es Anglaise ?
- Américaine. Et j'attends quelqu'un. »

Elle tournait déjà la tête, espérant que son amie ne tarde pas. Mais l'homme resta et, finalement, après des soupirs, des haussements de sourcils et un ou deux sourires de la part de la jeune femme, il réussit à avoir ce qu'il voulait : son prénom, puis, son numéro. Il était fort, vraiment. Il s'appelait Étienne.

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« C'est... parfait ! »

Pour ses vingt-trois ans, on pouvait dire que son père avait fait fort en lui offrant carrément, les locaux de son agence de détective privé. D'accord, le mot « agence » était un peu fort, étant donné qu'elle travaillait seule. Mais au moins, elle n'aurait plus à travailler seule depuis un bureau dans son appartement. Elle aurait aussi un endroit où rencontrer ses clients, autre que dans un café quelconque. Grace sauta donc au cou de son père et le remercia une bonne quinzaine de fois.

◊

Le coup du bateau l'avait impressionnée. A présent, elle en avait un peu marre. C'était trop tape-à-l'œil et surtout, trop grand. Elle avait l'impression de passer son temps à courir après Étienne pour le retrouver. Et en plus, elle avait ces deux types qui la suivaient partout, pour elle ne savait quelle raison. Son père avait lourdement insisté pour qu'ils l'accompagnent en Italie, et, visiblement, son petit-ami devait être dans la confidence puisqu'il avait appuyé son beau-père là-dessus. Grace avait donc le plaisir de partager ses vacances en amoureux avec deux paires de gros bras engagés par son paternel. Après avoir traversé le pont, monté un escalier, descendu un autre, cherché dans la cabine, la blonde allait abandonner - à croire qu'il cherchait à l'éviter. Dépitée, elle lâcha à l'adresse des deux types qui l'avaient suivie à travers le yacht :

« Je voudrais être seule.
- Mais, mademoiselle Stevens...
- Pas la peine de paniquer, je serai juste là, sur le pont. Comme ça, je serai seule et vous ferez ce pour quoi mon père vous paie. » lâcha-t-elle un poil agacée.

La paranoïa de son père, toutes ces choses qu'il ne pouvait pas lui expliquer, elle en avait assez. Et, si Étienne en savait quelque chose, elle était bien déterminée à lui tirer les vers du nez - c'était son boulot, après tout. Enfin, pour cela, il fallait qu'elle lui mette la main dessus. Légèrement dépitée, elle ouvrit la porte-fenêtre qui menait à l'un des multiples ponts/terrasses du bateau et s'accouda au garde corps pour regarder l'étendue bleue qui l'entourait. La vue apaisa un peu ses nerfs, jusqu'à ce que, du moins, elle entende un léger bruit dans son dos, lui signalant que quelqu'un était là. Aussitôt, elle fit volte face, s'attendant à trouver son petit-ami, ou un membre de l'équipage. Mais l'homme qui lui fit face ne lui disait rien. Son visage lui était inconnu et, pourtant, le seul fait de croiser son regard lui serra l'estomac. Il émanait de lui quelque chose d'étrange, d'indescriptible. Son instinct lui hurlait de fuir mais ses membres restaient paralysés. Ces quelques secondes lui rappelèrent un épisode de son enfance, où, alors qu'elle était au zoo, elle s'était retrouvée face à un lion et qu'elle l'avait admiré pendant de longues minutes tout en sursautant au moindre de ses mouvements. Sauf que cette fois-ci, aucune vitre ne la séparait de cet homme et de la dangerosité qui émanait de lui. Il était à quelques pas, elle était à sa merci et, pourtant, rien ne se passait. Le temps semblait suspendu, dans l'attente d'elle ne savait quoi. Et puis, au loin, elle entendit quelqu'un crier son prénom. Une fois, deux fois, trois fois, à chaque fois plus fort. Finalement, elle détourna les yeux de ceux de l'homme et entendit des bruits de pas précipités, puis vit ses gardes du corps foncer sur lui afin de le désarmer. Tout était allé à une vitesse folle pour s'imbriquer dans son esprit parfaitement. Cet homme avait braqué une arme sur elle pour la tuer et, par elle ne savait quel miracle, elle s'en était sortie.

« Grace, tout va bien ? Tu n'es pas blessée ? »

Complètement sonnée, la jeune femme mit du temps à trouver du regard un Étienne apparemment inquiet qui s'empressa de la ramener à l'intérieur. Dans le même temps, il lâcha quelques ordres aux gardes qui tenaient le mystérieux homme. Elle n'enregistra pas ses mots, bien trop secouée pour se préoccuper de ce genre de détails. Après quelques secondes de silence, Grace sentit les larmes lui monter aux yeux.

« Où étais-tu passé ? » répliqua-t-elle avec colère.

Il lui répondit quelque chose mais, une fois de plus, elle ne comprit pas quoi. Sa réponse importait peu, c'était le fait qu'il n'ait pas été là quand elle était en danger qui la rendait malade. Tout autant que le fait qu'il s'éloigne à présent pour « s'occuper du problème » plutôt que de rester avec elle.

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Avec les semaines, l'idée s'était ancrée dans son esprit. On avait voulu la tuer. Non, la formulation était fausse. On avait envoyé quelqu'un la tuer. L'homme qu'elle avait vu n'était pas un pirate qui aurait pu vouloir tirer quelque chose d'elle. Il voulait la tuer, donc. Mais, elle ne le connaissait pas, du moins, lui semblait-il, donc elle ne voyait pas ce qu'il pouvait bien tirer de sa mort. Enfin, de toute manière, elle ne voyait que trois raisons logiques : la vengeance, l'argent ou la soif de sang. Elle doutait qu'un serial killer se donne la peine de poursuivre ses victimes sur des yacht en pleine mer. Cela ne laissait que deux raisons. Et elle était déterminée à comprendre pourquoi, même si Étienne puis son père l'en avaient dissuadé, parce que c'était trop dangereux. Grace était d'avis qu'il était plus dangereux pour elle de ne pas savoir.

Alors, elle avait cherché, avec un simple portrait robot, pendant des jours, des semaines. Et, finalement, elle avait trouvé un nom : Nathaniel Hemsworth. Une identité toute neuve, créée en Grande-Bretagne mais on ne peut plus officielle. Et pour cause : l'homme avait été retrouvé à Londres, sans aucun souvenir et sans aucun papier. Elle aurait dû s'arrêter là, puisqu'il n'y avait rien à tirer de cet homme. Pourtant, ce Nathaniel commença peu à peu à infecter son esprit, à occuper ses pensées quand elle n'y prenait pas garde. Se persuadant qu'il ne s'agissait là que de la simple curiosité, Grace commença à suivre son parcours de loin, à réunir des informations sur lui pour comprendre qui il était, s'éloignant doucement mais sûrement de sa quête initiale...

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Alors qu'elle était en planque devant un hôtel miteux, dans sa voiture, le téléphone de Grace sonna. Elle se hâta de répondre et sourit vaguement en entendant la voix de son petit-ami :

« On déjeune ensemble ?
- J'peux pas. Encore une histoire d'adultère... »

A l'autre bout du fil, Étienne rit légèrement avant de lui demander où elle se trouvait exactement. Elle lui donna l'adresse et, une trentaine de minutes plus tard, il arriva sur le parking et monta dans la voiture, leur déjeuner à la main. La blonde détourna les yeux quelques secondes de l'entrée de l'hôtel pour l'embrasser et attraper le plat qu'elle avait commandé. Puis elle détourna à nouveau la tête pour tâcher de voir le mari de sa cliente et, idéalement, le photographier avec une autre femme. Elle était là pour le travail, même si ces histoires de coucheries ne l'intéressaient que moyennement. A ce moment-là, la voix de l'homme à côté d'elle s'éleva :

« Je suis désolé, j'aurais voulu faire ça mieux, mais... Je ne pouvais pas attendre plus et... » Intriguée, Grace tourna la tête vers lui pour lui demander de quoi il parlait, au juste. Mais ce qu'il tenait en main, un simple anneau, répondit à la place d'Étienne et la demoiselle manqua de s'étouffer quand il ajouta : « Grace, veux-tu m'épouser ? »

Elle se contenta d'écarquiller les yeux, incapable de dire quoique ce soit. Mais, voyant le visage de son petit-ami se décomposer et, n'arrivant pas à choisir parmi tous les mots qui se bousculaient dans sa tête, elle se contenta d'un :

« Oui. »

Puis, sans vraiment comprendre pourquoi, elle sentit un rire lui échapper et elle se pencha pour l'embrasser une nouvelle fois. Se marier ? Quand son père apprendrait ça...

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Officiellement, elle était à Paris pour le travail. Mais, le fait qu'elle y aille de plus en plus souvent commençait à éveiller les questions (et les doutes) de son fiancé. Grace n'aimait pas lui mentir mais il n'aurait pas compris. Au mieux, il aurait été inquiet ou jaloux. Au pire, il aurait pu commencer à s'intéresser également à Nathaniel et elle doutait qu'il se montre aussi ouvert d'esprit qu'elle au sujet de « l'homme qui avait voulu [la] tuer ». Tant qu'à faire, elle préférait éviter une confrontation sanglante entre les deux surtout que, d'après ce qu'elle avait vu concernant le mystérieux amnésique, il n'aurait fait qu'une bouchée d'Étienne. Et puis, de toute façon, elle ne risquait rien : cet homme ne se souvenait de rien, certainement pas d'elle.

Si son travail occupait bien ses journées en France, ses soirées, elle les passait parfois à errer en voiture dans la capitale. A force, elle connaissait quelques unes des habitudes de l'homme - il aimait un peu trop l'alcool, cherchait les emmerdes et préférait les blondes, quoique, une femme restait une femme. C'était maladif, certainement à la limite de la perversité mais il y avait des soirs comme ça où elle avait besoin de le trouver, de le suivre, ces soirs où rien ne pouvait l'occuper, ou plutôt, le détourner du mystère qu'il constituait. Comme aujourd'hui. Alors, elle avait pris sa voiture et l'avait vite trouvé, à la sortie d'un bar. Cette fois-ci, personne ne le raccompagnait, à part une bouteille d'alcool. Il tituba pendant plusieurs centaines de mètres, ne remarquant même pas qu'il était suivi. Ils traversèrent un pont, il s'approcha du bord, but à nouveau puis... Non. En réalisant ce qu'il semblait vouloir faire, le sang de Grace ne fit qu'un tour. Elle réfléchit à toute vitesse, et, ne voyant pas d'autre option, se gara sur le côté, ouvrit la fenêtre et l'appela par son prénom. A moitié avachi sur le rebord du pont, il se tourna vers elle et la regarda de ce même air abasourdi que cette fois où, un matin, il l'avait remarquée postée devant chez lui. Il faudrait sérieusement qu'elle arrête, ou, plutôt, se fasse plus discrète. Mais, pour le moment, elle voulait juste qu'il ne saute pas, continue à exister, certes, à des milliers de kilomètres d'elle, mais à être là, quelque part. C'était bien beau, mais elle ne savait pas trop comment le dissuader de se jeter d'un pont... Un sourire se dessina sur ses lèvres et elle lui lança sans vraiment réfléchir :

« Ce serait dommage de te tuer de cette manière, tu ne crois pas ? Tu n’en as pas encore fini, Nathaniel. Reste parmi nous. »

Visiblement, ces mots firent mouche puisqu'il se détacha du rebord pour s'approcher d'elle. Encore plus apeurée par l'idée de le « rencontrer » que celle le voir se jeter d'un pont, Grace démarra la voiture puis fila tout en se répétant qu'elle devait mettre fin à ce petit jeu avant qu'il ne la perde totalement...