(c) Crispin

« La chance, c’est la faculté de s’adapter instantanément à l’imprévu. »
Alfred Capus

Quand j’ai rencontré John, j’avais vingt ans. Je ne sais absolument pas pourquoi je commence mon récit en parlant de cet homme qui n'a finalement été qu'un misérable cafard dans ma vie. Paradoxalement, sans lui, je n'aurais jamais pu être ce que je suis aujourd’hui. Aujourd'hui, dix ans après, je ne sais plus si je le déteste toujours ou s'il est simplement devenu une partie de mon passé, une leçon de vie à retenir et finalement, une opportunité. Mon opportunité pour changer de vie.

Je suis née dans la pluvieuse Londres il y a de ça déjà trente-deux ans, au sein d'une famille parfaitement normale. De trois enfants, je suis la seconde. Je ne m'éterniserai pas sur mon enfance et mon adolescence, elles ont été très normales et heureuses. Je n'avais absolument rien de particulier. Élève correcte, pas trop dissipée, pas trop zélée. Je n'étais ni totalement populaire, ni totalement laissée pour compte. Bref, j'étais assez inintéressante comme fille.

Quand je suis sortie du lycée, j'ai décidé de me lancer dans les études. Depuis quelques années, j'avais un intérêt grandissant pour le journalisme et même si j'ignorais si je voulais finir grand reporter de guerre ou responsable de la section du courrier du cœur, j'avais tout de même de la curiosité pour la profession. L'espionnage à l'époque? Ça se limitait aux films de James Bond, et encore. J'étais partie pour être Riley Mills, journaliste, et je voyais cela très bien.

A vingt ans, alors que j'étais étudiante, j'ai rencontré John, de six ans de plus que moi. Tout de suite, ça a été le coup de foudre...Enfin, surtout pour moi, je crois. Nous nous sommes très vites mis ensemble, et au bout de six mois, il m'a demandée en mariage. Et j'ai dit oui. Je sais, j'étais très jeune, mais il faut dire qu'à l'époque, j'étais particulièrement naïve. John était absolument charmant et attachant, il ne me mettait pas du tout la pression. Il disait que le mariage ne m’empêcherait absolument pas de finir mes études, que cela ne mettrait pas en péril ma carrière...Sans déconner, j'étais sur un petit nuage, les pieds dans le bonheur absolu et les yeux remplis d'étoiles. Et encore, je crois que je suis loin du compte.

Oui, mais voilà, le bonheur ne dure jamais bien longtemps, et je l'ai appris à mes dépends. Un peu plus d'un an après notre mariage, j'ai commencé à avoir des doutes. Les rendez-vous non programmés, les excuses foireuses et j'en passe. Au début, je me disais que je virais parano, et puis j'ai voulu en avoir le cœur net. Tout y est passé, ordinateur, téléphone portable, courrier, mails, relevés téléphoniques, relevés bancaires. J'avais ses codes, c'était facile, et j'étais discrète. C'est ainsi que j'ai découvert la vérité...Anéantie, humiliée, trompée, scandalisée, je suis passée par tous les stades. Ce crevard me trompait sans gène aucune, et ce depuis longtemps. Malgré ses excuses et tentatives diverses de réconciliation, cela n'a plus jamais marché entre nous. Le divorce, c'était la seule solution. Une solution particulièrement pénible soit dit en passant: un an, au bas mot, de paperasse et d'avocats, pour me débarrasser de lui.

Et l'espionnage dans tout ça? C'est sans doute ça le plus tordant de toute cette histoire. En fouillant son courrier, j'ai découvert cette fameuse lettre. J'ignorais ce dont il s'agissait, mais le SIS est venu à moi. Cette invitation, elle était pourtant destinée à John, c'était lui le talentueux et prometteur espion en herbe que ces gens recherchaient. Manque de chance, ces infos précieuses étaient tombées entre mes mains, les miennes, qui plus est celles d'une future journaliste en puissance. J'avais vingt-deux ans, et un véritable scoop entre mes mains.

Évidemment, le SIS n'a pas laissé filer ça. Une erreur avait été faite, elle devait être réparée. C'est ainsi que je suis rentrée dans l'agence, sans rien savoir, sans expérience aucune, sans talent particulier. Enfin, peut-être à part ma perspicacité à découvrir l'embrouille et ma manie de tout fouiller qui finalement, se sont révélées plutôt utile. J'ai tout appris, en commençant au plus bas, et dix ans après, échelon après échelon, mission après mission, je suis devenue coordinatrice. Parallèlement, j'ai terminé mes études de journalisme, mais jamais exercé.

Ah, et j'oubliais. L'idée de prendre John dans nos rangs fut abandonnée à jamais. Comme quoi, il y a tout de même une justice.