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Il faut vraiment être stupide et suicidaire pour tomber amoureux d'un terroriste. Encore plus quand on est un agent.


Damian Niemczyk n'était pas vraiment destiné à vivre une vie normale.
Pour commencer, il n'était pas né à la maternité. Sa mère avait accouché de lui clandestinement, sur ses draps du minuscule appartement qu'elle occupait. Ses cris avaient ameuté les voisins, dans des situations aussi précaires qu'elle, qui l'avaient aidée dans la mesure du possible. Un petit bébé rose, chose molle et hurlante, avait fini par sortir. La mère, à bout de force, avait laissé une jeune femme de son entourage s'occuper des premiers gestes. Le nom de l'enfant figurait sur le petit papier que le père avait laissé sur la table de nuit. Sur l'état civil, il devait donc s'appeler Damian Niemczyk.

Son enfance, ensuite, ne fut pas celle d'un enfant normal.
Là où il vivait, il y avait peu de gens « comme eux ». Les « comme eux », c'était ceux qui ne pouvaient pas inviter les copains à la maison, parce qu'il n'y avait pas de place ; ceux qui n'avaient pas les derniers vêtements à la mode, ne pouvaient pas s'acheter le jouet super-tendance, ni le cahier à l'effigie des héros les plus en vogue - et puis, la télévision, chez Damian, elle était si vieille, il n'avait pas le goût à la regarder. Il vivait là, coincé avec sa mère et ses deux frères dans un deux-pièces peu coûteux, un peu vieillot, et pas toujours très pratique. Son père avait disparu, on ne savait pas trop ce qu'il était devenu. Quant aux oncles, tantes et grands-parents, les Niemczyk avaient très peu de contacts avec eux. La plupart vivaient à l'étranger, les autres dans des coins différents du Royaume-Uni. Ils étaient les seuls à vivre dans cette région. Et la vie à la maison n'était pas si facile. Leur mère était facilement débordée, et les trois fils devaient souvent l'aider. Leur vie était assez cadrée : ils allaient à l'école, faisaient leurs devoirs, puis aidaient leur mère dans les tâches quotidiennes. Elle avait énormément de mal avec les papiers administratifs, maîtrisant assez mal l'anglais. C'était pourquoi l'aîné la relayait assez souvent. Damian, lui, s'occupait surtout de faire le ménage dans les coins où sa petite taille était un atout, de sortir les poubelles, de plier les vêtements et d'essuyer la vaisselle. Sa famille était certes assez pauvre, mais ils étaient très soudés, et partageaient un certain nombre de valeurs. Damian apprit à respecter le cadre familial, les parents et les liens filiaux ; mais il apprit à aimer l'école, l'état, les lois, et toutes ces choses que beaucoup avaient tendance à oublier.
Et si Damian devait s'habiller avec les vêtements trop petits de ses frères, s'occuper des tâches ménagères et ne pas avoir beaucoup de copains, qu'est-ce que cela importait ? Le garçon était heureux de sa vie, et n'aurait jamais voulu changer. Il avait même l'impression que grâce à cela, il découvrait une facette de la vie qui échappait tant à ses petits camarades. Il savait qu'elle était précieuse, qu'on était tenu de respecter tout le monde, y compris le plus miséreux, et qu'elle était dure. La chance ne suffisait pas. Dans la vie, il fallait se battre pour obtenir ce que l'on voulait.
Mais que voulait Damian, au juste ? Il ne rêvait pas de gloire. Il ne rêvait même pas d'aventures, ignorant totalement ce qu'il deviendrait dans le futur. Une vie "normale" ne le tentait qu'à moitié. Il avait envie de transmettre ses valeurs à des enfants, faire du bien autour de lui. Il voulait également ne pas avoir à subir les obstacles qui se dressaient sur le chemin de son immigrée de mère. Non, simplement vivre tranquille, sans trop d'argents, à exercer un métier épanouissant et bénéfique pour la société. Oui, mais voilà. Il aurait fallu trouver une femme. Et, comme il n'allait pas tarder à s'en rendre compte, Damian était plutôt attiré par les hommes.

Sa scolarité se poursuivit plutôt sans encombre. Damian était doué à l'école, et était promis à un bel avenir. Même l'université ne poserait pas de problèmes : sa mère économisait sans relâche pour l'avenir de ses fils, et en particulier de ce petit dernier, pour qui obtenir une bourse ne serait pas un problème. Damian, lui, n'avait jamais vraiment pensé à faire des études. Ce n'était pas vraiment une habitude ancrée, ni dans sa famille, ni dans son entourage. Mais on le lui proposait, et l'opportunité lui paraissait intéressante. Il bossait bien, cela dit. Même en aidant sa mère après les cours, il s'en sortait mieux qu'un sacré nombre de gens de sa classe, qui avaient pourtant tout leur temps libre. Il avait même décidé d'être bénévole dans une association. Damian était véritablement montré en exemple. Cette période fut sans doute la plus belle de sa vie. Il allait parfaitement bien, il ne connaissait pas vraiment de problèmes dus à sa sexualité, et tout lui réussissait. Il se sentait l'âme généreuse, prêt à s'avancer vers les autres.
Mais cela, c'était avant que tout bascule.
Damian avait treize ans et demi quand son premier gros problème fit surface. Ce fut à cette époque là qu'il se rendit compte de sa grosse différence, car il tomba éperdument amoureux d'un garçon. La difficulté fut double. Il devait apprendre à gérer des sentiments qu'il ne connaissait pas, tout en s'accommodant d'une réalité déconcertante. Lui qui n'y comprenait rien, devait apprendre à tout gérer. Et il s'en prit, des coups durs. Y compris dans sa famille, parce que ni sa mère, ni ses frères ne pouvaient comprendre. Ce fut à ce moment-là que Damian s'endurcit. Il ne cessa pas ses activités bénévoles, ne faiblit pas en classe. Mais l'atteindre était devenu plus dur. Il ne souriait plus aussi facilement. Il méprisait assez facilement ceux qui l'insultaient, n'allait plus aussi facilement vers les autres. Envers sa famille, il ne perdit pas sa confiance, mais il devint beaucoup plus froid, et refusa de parler avec eux de ce qui lui tenait à cœur.
Le second gros problème fut plus grave. A l'âge de seize ans, Damian tomba gravement malade, et ne put passer ses examens. Les frais d'hôpitaux étaient extrêmement coûteux, et la mère avait beaucoup de mal à assumer ce fait. Damian aurait pu en mourir. Mais elle préféra sacrifier ses études plutôt que toute sa vie. Ce fut grâce à cet argent que le jeune homme fut sauvé. Cependant, trop affaibli par ce qui venait de se passer, et complètement coupé du domaine scolaire pendant des mois, Damian prit une décision assez lourde, mais en toute connaissance de cause, puisqu'il savait qu'il se vouait à une vie proche de celle de sa mère. Il arrêta définitivement ses études pour se mettre à travailler.

Après quelques boulots mal payés, mais acceptés avec stoïcisme par le jeune homme, Damian rencontra celui qui allait devenir son patron. Riche homme d'affaires, en contact avec de nombreux réseaux - donc une certaine agence britannique -, l'homme recherchait un assistant. Damian se mit à travailler pour l'homme. Il était jeune encore, jeune et innocent, mais il convenait parfaitement à son employeur. Il était silencieux, ne posait pas de question, n'avait pas peur d'aller dans des endroits mal-famés, voire carrément dangereux. Le risque, au contraire, plaisait bien au jeune homme. Une vie autre que ce qu'il avait imaginé s'ouvrait à lui. Damian apprit avec cet employeur les rudiments de son futur métier. Il commença même à changer d'identité et à effectuer quelques missions mineures. Sa famille n'était pas au courant, et de toute façon, il n'avait pas vraiment l'intention de le lui dire. Ses deux frères avaient quitté le foyer, et s'étaient installés dans des quartiers proches. L'aîné avait déjà une femme et une fille, le second fréquentait une jeune femme tout à fait respectable, qui lui était très proche de caractère. Sa mère, quant à elle, vivait seule. C'était elle qui l'avait voulu : elle avait poussé ses fils à partir une fois qu'ils étaient majeurs. Cela était aussi arrivé à Damian, et l'argent de l'employeur l'aida grandement à payer ses loyers et sa nourriture. Il aurait pu parler de ces affaires à sa famille. Mais il respectait assez l'homme qui lui avait tant donné pour taire ses secrets. Pourtant, il en savait déjà beaucoup.
L'homme proposa à Damian de lui payer son permis, en échange de quoi son protégé accepterait de travailler pour lui au noir pendant un an. Damian n'avait pas assez d'argent pour se permettre de refuser l'offre. La proposition était alléchante, quoique dangereuse. Mais Damian entra dans la combine. Il réussit son permis, et commença sa carrière de chauffeur. Ce fut à ce moment-là qu'il quitta son Écosse natale. Il est très difficile de le suivre alors. Sa famille lui manquait, bien sûr ; cela faisait toutefois des mois qu'ils étaient dans l'ignorance, et il valait mieux qu'il en soit ainsi. Ce fut dans cette période qu'il changea de nombreuses fois d'identité, de lieu de résidence et de métier supposé. Ce fut aussi à ce moment-là qu'il commença à travailler pour le compte de son agence.

Depuis, il n'y a plus grand chose à dire sur Damian... ou peut-être si. Il reste encore à raconter la rencontre avec l'élu de son cœur.
Tout s'était déroulé dans le palace d'un grand hôtel de Mexico. Damian était là pour sa mission. Le terroriste était là pour affaires. Damian savait qu'il avait un ennemi dans les parages, mais il ignorait de qui il s'agissait. Et puis, en le voyant pour la première fois, il savait déjà qu'il ne pourrait jamais le considérer comme un adversaire. Son cœur s'était serré en le voyant. Damian s'était tout de suite senti attiré par cet homme charismatique, désinvolte, qui se promenait dans les couloirs de l'hôtel, son portable à la main et un sourire arrogant aux lèvres. Il se sentait capté par ses yeux malicieux, qui se posaient sur lui sans vraiment le voir. Damian se surprit à prendre sa mission à la légère. Elle comptait toujours, mais l'inconnu bouleversait ses habitudes. Il suffisait qu'il le vît pour tout oublier, et se prendre à rêver de connaître son nom. Un soir, l'inconnu invita Damian à dîner à sa table. Le jeune homme n'allait évidemment pas refuser. Ce dîner fut sans doute le plus beau de sa vie. Les jours suivants également. Damian tombait amoureux de cet inconnu.
Manque de bol, c'était lui, l'homme qu'il cherchait. L'inconnu était un terroriste. Et Damian avait beau le savoir, c'était déjà trop tard. Son cœur ne lui appartenait plus.