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La science - toute science - est sans conscience ni limites.

La petite Marie-Amélie Blanchard avait tout pour réussir dans la vie. Vraiment. Des parents aimants et terriblement fiers de leur progéniture, suffisamment d'argent pour qu'elle ne manque de rien, des métiers et passions qui la firent baigner dans un univers culturel riche. Bref, tout pour qu'elle soit intelligente, jolie, épanouie - ce dont tous les parents rêvaient, n'est-ce pas ? Ou du moins, c'était ce que Monsieur et Madame Blanchard voulaient et ils n'hésitèrent pas à pousser leur chère enfant pour qu'elle développe tout son potentiel. C'est ainsi que Marie-Amélie eut droit aux cours d'anglais et d'allemand dès son plus jeune âge, aux cours de piano, de danse classique, d'équitation, aux meilleures écoles et sorties culturelles le dimanche. Quand elle avait cinq ans, la petite famille s'envola pour Tokyo au Japon, où M. Blanchard venait d'être muté. Après quelques mois, ses parents apprirent à la petite Marie-Amélie qu'elle allait avoir un petit frère ou une petite sœur. Rejet en bloc de la gamine qui enchaîna une bêtise après l'autre, jusqu'à ce que l'institutrice les convoque et leur conseille, à leur grande surprise, de réaliser des tests sur leur fille. Quelques semaines plus tard, Marie-Amélie atterrit dans la case des enfants précoces, surdoués, génies, appelez ça comme vous voulez. Les parents, à la fois aux anges et dépassés, la poussèrent encore plus vers l'excellence. En septembre 1990, la petite sœur de Marie-Amélie naquit, suscitant encore plus la jalousie de cette dernière. Un an plus tard, la situation était devenue bien trop ingérable pour les parents qui prirent la décision d'envoyer leur aînée dans un institut privé, en Suisse. Une mise à l'écart qu'elle n'a jamais digérée. La fillette grandit donc loin de ses parents et de sa sœur, qu'elle voyait aux vacances scolaires seulement. Quand elle avait onze ans, les Blanchard partirent pour l'Australie. Un an plus tard, elle commença à enchaîner les frasques dans son école. Elle fut finalement renvoyée après qu'on l'a retrouvée à flirter avec un garçon plus vieux dans sa chambre, à l'internat. Ses parents décidèrent alors de la scolariser à Sydney, dans l'espoir de la gérer mieux que les professeurs et accompagnateurs jusqu'alors. Ils serrèrent la vis, surveillant étroitement leur fille et, à leur grande surprise, cela marcha. Elle poursuivit sa scolarité sans heurt. A seize ans, elle entra à l'Université d'Harvard, sa candidature ayant été grandement appuyée par une généreuse donation de son père.


Cinq ans plus tard, elle présentait sa thèse publiquement. La jeune femme avait sérieusement travaillé pour accélérer ses études - qu'il s'agisse des cours, des examens ou de ses relations avec les professeurs qu'elle n'hésitait pas à séduire au besoin. Elle couchait d'ailleurs depuis plusieurs mois avec son directeur de thèse, un homme de trente ans son aîné, marié, trois enfants proches de l'âge de Marie-Amélie. Mais en vérité, elle s'en fichait pas mal de sa vie, de ses problèmes conjugaux ou qu'il mette sa carrière en danger en la fréquentant. Tout ce qui comptait, c'était qu'en le mettant dans son lit, elle l'avait eu dans la poche. Grâce à lui, elle était quasiment sûre de trouver un poste dans les semaines qui suivaient. Toutefois, tous ces plans furent chamboulés quand, à la fin de son exposé, une femme vint la voir, lui demandant à lui parler seule à seule. Elle lui déballa alors le grand jeu : elle était de la CIA, ses travaux et ses compétences les intéressaient. Bref, on lui offrait un travail, mieux, on lui déroulait le tapis rouge en lui assurant qu'elle aurait un large budget et pourrait rapidement diriger son laboratoire. La jeune femme ne résista pas et accepta rapidement la proposition. Un mois plus tard, elle intégrait la célèbre agence de renseignements.

On lui fit passer toute une série de tests, dans l'espoir de l'amener sur le terrain, dans des missions d'infiltration notamment. On lui dit que le processus était tout à fait normal pour faire taire ses objections. La vérité, c'est qu'elle avait tout sauf envie de partir sur des missions. Non pas qu'elle ne s'en sentait pas capable mais elle estimait simplement que ses connaissances seraient gâchées si on l'envoyait sur le terrain. Et son vœu fut exaucé puisqu'on ne lui demanda jamais rien après ces fameux tests. Elle resta donc dans un laboratoire, à effectuer divers travaux pour le bureau. Un bon petit soldat dans un grand engrenage - autant dire qu'elle se voyait difficilement continuer indéfiniment comme cela. Sauf qu'au bout de quelques mois, elle fut convoquée dans un bureau sombre, par un type dont elle n'avait jamais entendu parler. Il lui expliqua, dossier et photographies à l'appui, qu'ils avaient découvert que des terroristes s'intéressaient à elle, à ses travaux. Que sa vie était en danger, tout comme sa famille. Tout un laïus alarmant pour en arriver à la conclusion suivante : elle devait disparaître. Mourir. Elle allait lui répondre d'aller se faire voir avec ses conneries lorsqu'il expliqua qu'en acceptant, elle aurait accès à des données confidentielles. Ce qui signifiait, des travaux plus intéressants. Elle dit oui sans hésiter. Une semaine plus tard, sa mort fut mise en scène - ses parents et sa sœur la pleurèrent, ses anciens collègues firent une minute de silence. Elle eut même droit à trois lignes sur son prétendu accident de voiture dans le journal local. Après cela, on la transféra dans un lieu "top secret" - tellement secret qu'elle n'eut pas le droit de savoir où. Elle apprit bien plus tard que le bâtiment se situait au fin fond du Nebraska. Tout comme le fait qu'on ait décidé de l'isoler en raison de son profil psychologique jugé "à risque".

Toujours est-il qu'on fit du coup appel à Marie-Amélie pour des recherches beaucoup moins éthiques et beaucoup moins encadrées. Agir dans l'ombre l'amusa dans un premier temps, puis la lassa. Cela la lassa encore plus parce qu'elle ne pouvait pas sortir seule, ni voir personne d'autre que des agents de la CIA ou d'autres scientifiques. Une fichue prison dorée : voilà ce pour quoi elle avait signé. Elle continua toutefois à travailler bien sagement tout en montant un plan pour s'échapper. Le jour J arriva finalement après plus de quatre ans d'attente.
"Demain, c'est mon anniversaire.
- C'est vrai ?"
Elle hocha la tête en lui adressant un léger sourire. Lui, c'était Andrew, un agent qui était arrivé ici il y a un peu plus de deux ans.
"Demain, j'aurai 28 ans."
Elle laissa soigneusement passer une dizaine de secondes, faisant mine d'être pensive, avant d'ajouter :
"Tu sais ce qui me ferait plaisir ? Sortir d'ici... Rien qu'une heure ou deux ! ajouta-t-elle précipitamment face au regard qu'il lui adressa. S'il-te-plaît. Si tu m'accompagnes, ils me laisseront y aller. Ça doit faire au moins six mois que je n'ai pas mis le nez dehors !"
Elle le supplia encore de longues minutes jusqu'à ce qu'il sourie finalement en lançant :
"J'avais déjà tout prévu, tu sais..."
Elle fronça les sourcils mais il déposa ses lèvres sur les siennes avant qu'elle puisse dire quoi que ce soit. Après cela, il lui glissa un bref "à demain" avant de retourner à son poste. La brunette aurait pu hurler sa joie : ce type était tellement prévisible. Elle savait qu'il aurait largement œuvré pour qu'ils soient seuls, au moins une heure. Tout ce dont elle avait besoin. Elle se répéta tout l'après-midi le plan qu'elle avait imaginé depuis de longs mois, puis rassembla tout ce dont elle avait besoin. Cela faisait tellement longtemps que son comportement était exemplaire que plus personne ne semblait faire attention à elle, c'en était presque vexant.

Le lendemain, Andrew vint la chercher, juste avant le déjeuner, un grand sourire aux lèvres. Il lui fit passer toutes les sécurités, l'embarqua dans sa voiture direction le patelin le plus proche. Elle remarqua qu'une voiture les suivait, comme toujours. Ils déjeunèrent tranquillement, elle l'écouta parler de sa vie inintéressante tout en entretenant la conversation. Cela faisait des mois qu'elle jouait le jeu : elle maîtrisait son rôle complètement. Lorsqu'ils sortirent, elle lui demanda s'ils pourraient être seuls. Le sourire avec lequel il lui répondit lui confirma que ce serait bon. Et en effet, ils partirent direction l'hôtel cette fois. Il avait vraiment tout prévu, merci mille fois. Ils arrivèrent dans la chambre où une bouteille les attendait. Il les servit, s'éloigna juste assez longtemps pour qu'elle glisse un somnifère dans son verre et l'accueillit avec un sourire quand il revint, paquet cadeau à la main. Blabla habituel avant qu'elle l'ouvre. Aujourd'hui, elle est parfaitement incapable de se souvenir ce qu'il y avait dedans, son plus grand cadeau ayant été le moment où il a enfin porté le verre à ses lèvres. Deux longues minutes plus tard, il s'écroulait sur le lit. Marie-Amélie regarda aussitôt sa montre : il devait lui rester quarante-cinq minutes, un peu plus si les deux autres mettaient du temps à se décider à vérifier ce qu'il se passait. Elle fit les poches de l'agent, récupérant son portefeuille, son téléphone portable, son arme, les clés de voiture. Sans se retourner, elle quitta la chambre direction le parking, monta dans la voiture et démarra. Elle roula cinq bons kilomètres avant d'être tout à fait sure que tout avait bien marché : personne ne la suivait, elle avait une bonne demi-heure avant que l'alerte ne soit donnée. Elle s'arrêta, refila le portable à un groupe d'adolescents qui zonaient dans le coin, continua à rouler jusqu'à un garage qu'elle avait repéré. Elle revendit la voiture de la CIA, en racheta une autre, les questions du mec ayant disparu soudainement quand il vit l'arme à feu sur le siège passager. Elle fit un autre arrêt dans une supérette puis partit à la gare du coin et acheta plusieurs billets de bus et de train avec la carte bleue d'Andrew. Elle retira ensuite de l'argent, et prit soin d'oublier la carte bancaire sur un guichet. Elle partit vers les quais pour sortir de la gare, prit une chambre dans le motel miteux d'en face en payant en liquide. Une demi-heure plus tard, elle ressortait avec des cheveux blond platine, de grosses lunettes de soleil, de nouveaux vêtements. L'alerte avait été déclenchée, hors de question de retourner à la gare. Elle marcha jusqu'à la station service, à une centaine de mètres de là. Elle monta dans le premier camion qui accepta de la prendre, direction Chicago. Une fois arrivée là-bas, elle put respirer : la partie était gagnée, elle avait réussi à s'enfuir. Ne restait plus qu'à ne pas se faire rattraper à présent. La suite ? Plutôt simple : entre fausses identités et comptes off-shore, de transactions illégales en fuites en tout genre. Non, vraiment, elle ne regrette pas la CIA.