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« Même après tout ce temps tu fuis encore quand tu vois son image … » La nacelle s'arrête brusquement, je sens le soleil disparaître de mon visage alors que quelqu'un se penche au dessus de moi. « Je ne fuis pas ! J'avais juste besoin de prendre l'air » Sa main se met doucement à caresser mes cheveux alors qu'elle fredonne la même chanson qui me berçait le soir quand je n'étais encore qu'une enfant. Elle venait me rejoindre les soirs d'orage et je pouvais venir me blottir tout contre son corps, m'endormant alors que le tonnerre et la pluie frappaient contre les carreaux de ma chambre. « Je t'ai donné la vie ma chérie, je sais comment tu fonctionnes. Tu es son portrait craché, mes cheveux et mon caractère de feu en plus. » Je grimaçais contre ses paroles et un instant, ce moment mère-fille devint gênant. Elle cherchait à renouer le contact entre deux personnes qui ne s'étaient jamais compris, qui n'avaient pas su communiquer et qui n'en auraient plus jamais la possibilité. Sauf que je  ne voulais pas faire la paix avec ma conscience et pas plus que je voulais retrouver le calme avec les démons de mon passée. Je repoussais sa main d'un geste qui allait surement la blesser mais je voulais qu'elle arrête de se mentir à elle-même. Je me levais, embrassant doucement son front avant de partir.

Une nouvelle dépression dans l'air se fait sentir, je crispe un peu plus ma main sur l'accoudoir. On dit que la nuit porte conseil, et bien dans un avion rien ne se passe jamais comme prévu. Je devrais finir par être habituée, je traverse le monde par avion plusieurs fois par mois, je vis entre différents décalages horaires et je sais que je ne pourrais pas tenir ce rythme indéfiniment. Et il continue à me hanter, j'ai l'impression qu'à chaque pas il se cache derrière moi, il me conseille un moment avant de reprendre ce ton autoritaire qu'il n'avait qu'avec moi. Me pousser dans mes retranchements, toujours aller plus loin, au delà de mes forces, au delà de mes limites psychologiques. Mon père. Je frissonne de tout mon corps, je n'aime pas employer ce mot. Il m'a aimé je le sais, je l'ai aimé, enfin je crois. La fillette que j'ai été l'a aimé de tout son cœur. L'adolescente que j'ai été l'a affronté. La jeune femme, elle, a préféré fuir de l'autre côté de l'Atlantique pour rêver d'une autre fille où des on et des si avaient pu jouer toutes leurs cartes.

« Tu n'iras pas en Europe pour étudier tes conneries artistiques ! Tu vaux mieux que ça ! » Un à un mes vêtements s'entassaient dans la valise, je n'emporterais pas grand chose, quelques babioles en souvenir de cette maison, de mes sœurs et de ma mère, de l'argent toujours en somme importante en liquide mais différents devises, je n'étais pas sur de revenir tout de suite. Je pouvais survivre sans lui. « Tu ne veux pas perdre ta meilleure apprentie espionne, tu te moques du reste, tu te moques de moi et de mes envies. Tu veux me formater pour servir ta patrie. Mais l'Amérique ne sera jamais la mienne ! Si ma vie est telle qu'elle est c'est parce que tu n'as pas été capable de faire ton job correctement. Grace et Ellen ne se souviennent peut-être pas de tout ça mais moi je me souviens de chaque détail. Quarante-huit heures pour emballer neuf ans de vie en Angleterre, pas un aurevoir à mes amis, la police encerclant notre maison pour être sûr qu'aucun de nous n'allait s'échapper. Les menottes aux poignets que tu as du gardé jusqu'à ce que tu sois assis sur ton siège. Tout ça sous le regard honteux de tes anciens collègues et la pitié qui n'ont cessé de montrer à notre égard. » Je bouclais ma valise avec violence et commençait à dévaler les escaliers. « Aujourd'hui, je me libère de toi, de cette famille enchaînée et je te prie d'aller emmerder profondément la CIA de ma part! »

Je ne suis rentrée d'Europe que pour son enterrement, acceptant à mon tour de m'enchaîner corps et âme à cet autre monde, cette terre du rêve d'or.