(c) Nao'

Dayton, Ohio, 1977
Les Carlson étaient bien loin de chez eux. Ils vivaient en Angleterre, dans la capitale. Ils avaient une chouette petite maison en périphérie de la ville. Quand ils allaient au boulot, parfois, ils avaient des heures et des heures de bouchon mais ils s'en fichaient, parce qu'ils aimaient leur tranquillité. Monsieur Carlson, alias John Truman, était directeur d'une banque. Il était peut-être un peu jeune pour être directeur, il avait à peine trente ans, mais ça aide quand on a son père qui est entrepreneur et qui a monté tout un tas de banques pour s'enrichir, encore et encore. Madame Carlson, Susan, quant à elle, était médecin. Quoi que, en ce moment, elle était plutôt en congé maternité des suites d'une grossesse. Niveau famille, ils avaient déjà un enfant. Un petit garçon de deux ans aux cheveux bruns bouclés et aux yeux bleus. Tous les enfants, ou presque, avaient les yeux bleus à la naissance. Et leur pigmentation finissait par être définitive que bien plus tard. Mais il avait hérité des yeux de son paternel. Quoi qu'il en soit, venons-en au vif du sujet et au comment du pourquoi de l'Ohio.

La famille Carlson était en vacances à Dayton. Ils allaient voir le frère de monsieur Carlson qui avait décidé de venir aux USA y'avait de cela quelques années. Ils auraient pu attendre pour venir, surtout que Susan était enceinte, à nouveau, et qu'elle attendait des jumeaux. Elle en était à son troisième trimestre mais elle avait envie de voyager et de ne pas rester cloîtrée à la maison. Elle en avait marre. Attention, hein, elle adorait s'occuper de sa famille. Mais elle avait besoin d'autre chose. Voilà pourquoi ils étaient aux USA.

Ce jour là, ils avaient loué un véhicule pour faire une petite balade dans les environs de Dayton. Mieux aurait-il fallu qu'ils ne sortent pas, qu'ils restent tranquillement chez le frère de John. Ils roulaient tranquillement. Susan avait jeté un coup d'oeil sur la petite Samantha. John souriait. Tout semblait parfait. Et puis, d'un seul coup, bam, un gros 4x4 en vint à faire une sortie de route, après avoir grillé un feu. Ca aurait pu être sans conséquence, mais il percuta le véhicule de la famille Carlson. La berline fit quelques tonneaux avant d'atterrir dans un pré. Les secours furent dépêchés. Le gars du 4x4 avait eu un épisode syncopal mais le choc avec l'autre véhicule avait ramené son rythme en sinusal. En quelque sorte, cet accident lui avait sauvé la vie. Pour la famille Carlson, le résultat fut tout autre. John avait une fracture du bassin et son thorax avait tapé fort contre le volant. Avec la faute à pas de chance, il avait été à deux doigts que de se défoncer totalement le thorax.

Susan, quant à elle, s'était blessée au front à cause du tableau de bord. Une blessure pratiquement minime. On aurait presque pu dire qu'elle s'en sortait bien, mais non. Du fait qu'elle avait été ceinturée pour éviter de passer à travers le pare-brise, il y avait eu une forte compression au niveau de son abdomen. Les bébés étaient en danger. Les médecins avaient remarqué une hémorragie interne au niveau de son ventre et il fallait les sortir rapidement afin de les sauver tous les trois. Seulement ... Il y eut un problème avec l'une des poches amniotiques qui s'était rompue dans l'accident. L'un des deux jumeaux ne survécut pas ce jour là. Et le second, Jaimee Rosaline, fut placé dans le service de réa néo-nat. Les chances étaient de cinquante/cinquante. Soit elle vivait, soit elle mourrait.

Et on n'a pas parlé du petit William, le petit garçon de deux ans. Que lui était-il arrivé dans l'accident ? Avait-il fait pigeon vol parce qu'il était mal sanglé ? Etait-il encore en vie ? Et bien ... Non, il était mort, lui aussi, des suites d'une intervention chirurgicale. Sa rate avait explosé, son foie avait été touché. Un de ses poumons s'était affaissé. Il aurait pu vivre sans rate, et avec un seul poumon. Il aurait pu vivre, aussi, avec une partie de son foie enlevé. Mais il avait perdu pas mal de sang des suites de l'hémorragie interne. Et malgré tous les efforts des chirurgiens, ils n'avaient rien pu faire pour le sauver. Résultat des course : celui qui avait provoqué l'accident était vivant et n'avait que peu de blessures. Et la pauvre famille victime de l'accident avait été amputée de deux de ses membres. Le père de famille était dans un état critique, mais il s'en sortirait. Quant au bébé, son état était tout aussi critique. Mais fallait croire que cette petite, c'était déjà une battante. Jaimee resta trois mois en réa néo-nat. Son père était rentré, entre temps, au pays, pour faire les papiers, déclarer sa naissance et tout ça, et il faisait souvent des aller et retour entre Londres et Dayton. Susan, elle, avait préféré rester auprès de fille. Même si elle était, tout de même, rentrée quelques jours pour enterrer son fils et sa petite fille mort née.

Jaimee vit le jour ... dans un évènement peu commun. Ou tout du moins, ça se fit dans le sang. Mais, le principal, c'était qu'elle était vivante, et en bonne santé. Qui aurait cru, d'ailleurs, qu'elle survivrait à ce jour faste ?

(c) tumblr

Jaimee était une petite fillette forte, et robuste. Et tout alla bien pour elle. Elle grandit sans encombre, sans développer de quelconques problèmes médicaux. Enfin, quand elle attrapait des rhumes, petite, c'était peut-être un peu plus grave ou ça se transformait en pneumonie, mais rien qui mettait en danger réellement sa santé. Malgré ses deux mois d'avance, elle n'avait pas, non plus, eu des problèmes au niveau cérébral. Les médecins avaient peur qu'elle soit en retard, enfin, qu'elle commence à parler en retard, qu'elle ne marche que bien plus tard, des choses dans le genre. Mais non, Jaimee avait bien tourné, contre toute attente. Peut-être parce qu'une bonne étoile veillait sur elle et faisait en sorte que tout aille bien.

Deux ans après sa naissance, Susan accoucha d'un petit garçon, une nouvelle fois. Prénommé Matthew, il ressemblait à William, à sa naissance. Peut-être qu'il changerait un peu en grandissant. C'était même fort probable. Les deux enfants grandirent donc ensemble. Quand ils furent un peu plus grands, ils faisaient des bêtises ensemble. Accusaient le chat, ou bien le chien. Il y avait une réelle complicité, sans aller dans l'extrême, tout de même. Chacun avait ses copains, ses copines. D'amis en commun, fallait tout de même une barrière entre eux. Et à l'école ... disons qu'à l'école, tout le monde savait qu'ils étaient parents mais ce n'était pas pour autant qu'ils jouaient ensemble dans la cour de récréation. Fille et garçon avaient des divergences d'opinion. Les garçons jouaient aux billes ou bien aux pogs. Les filles jouaient à la marelle ou faisaient de la corde à sauter. Et en grandissant, dans la cour de récré, enfin, au collège, plus personne ne joue vraiment. Les élèves préfèrent discuter. Parler des garçons, ou bien des filles. Enfin, ça dépendait un peu.

Au niveau des notes, Jaimee cherchait toujours à être la première. La compétition était rude dans sa classe parce qu'il y avait une autre tête pensante, un autre petit génie. Ils étaient toujours en train de comparer leurs notes, pour voir qui était le meilleur, qui avait mieux fait cette fois-ci. Quand l'un était meilleur que l'autre, il jubilait et se vantait, tandis que l'autre déprimait un peu. Avant de se concentrer sur la prochaine interrogation et de tenter de faire encore mieux. Oui, Jaimee était du genre très compétitive. Mais ce n'était pas plus mal. De cette manière, elle travaillait beaucoup, elle se donnait les moyens que de réussir et elle avait toujours de bonnes notes, pour le plus grand bonheur de ses parents, et de son frère qui prenait exemple sur elle afin de suivre le même chemin.

Tout était parfait. Jusqu'au jour où Jaimee vit quelqu'un mourir sous ses yeux. Elle avait quoi ? A peine quinze ans. Elle s'était rendue à la banque afin de déposer de l'argent sur son compte. Ou plutôt, afin d'encaisser plusieurs petits chèques. Avec plusieurs membres de sa famille, elle avait organisé une espèce de récolte pour acheter un cadeau à ses parents. Un gros cadeau. Enfin, pas forcément gros, mais quelque chose qui leur ferait plaisir pour leur vingt-cinq ans de mariage. Sauf que Jaimee ne ressortit pas tout de suite de la banque. Non, des petits malins avaient décidé de braquer le bâtiment. Ils avaient des flingues, et tout, et puis, ça a dérapé, bien qu'ils aient demandé à tout le monde que de se tenir tranquille. Un des gardiens ne resta pas à sa place. Et il se prit une balle. Et aucun médecin pour l'aider. Jaimee avait vu sa mère, à plusieurs reprises, faire des réanimations et tenter de sauver des patients. Tant bien que mal, et tandis que les cambrioleurs vidaient les coffres, Jaimee tenta de stopper l'hémorragie en faisait pression sur la plaie, avec son gilet qu'elle avait préalablement ôté. Mais elle n'y connaissait rien. Ce fut à ce moment précis qu'un crétin tenta de faire quelque chose pour arrêter les cambrioleurs. Il se prit une balle dans la tête et l'arme glissa jusqu'aux pieds de Jaimee. Comme l'homme était proche de l'adolescente, elle se retrouva éclaboussée par du sang. En un clin d'oeil, ou presque, sans se rendre réellement compte de ce qu'elle faisait, l'adolescente récupéra l'arme. Et il y eut un bang. Le cambrioleur qui venait de descendre le pauvre type qui avait tenté de jouer au héros ... venait de se prendre une balle. Ce qui, bien malheureusement, rameuta ses complices. Mais il y eut d'autres bangs. Un des gardiens avait profité de l'occasion pour reprendre le dessus sur les cambrioleurs et il avait tiré pour tenter de les immobiliser. Et Jaimee en avait fait de même. Une balle chacun dans les jambes. Le gardien récupéra les armes des cambrioleurs tandis que les secours étaient prévenus pour venir s'occuper des blessés. Jaimee était encore ... comment dire, à l'ouest quand le gardien s'approcha d'elle. D'une voix douce, il récupéra l'arme qu'elle tenait entre ses mains.

Cette journée avait été très éprouvante pour Jaimee et sa mère pensa qu'une petite thérapie, ou du moins, un passage entre les mains d'un psychologue ne lui ferait pas de mal. Mais fallait croire que la petite Jaimee était plus solide qu'il n'y paraissait parce que le jour suivant, elle allait bien mieux. Peut-être que c'était l'adrénaline, et tout ça, qui avait fait qu'elle s'était mal sentie la veille. Le pire, dans tout ça, c'était qu'elle n'avait jamais tenu une arme entre ses doigts. Pas même un lance-pierres, rien qui n'aurait pu blesser quelqu'un d'autre. Et pourtant, elle avait tiré avec aisance, comme si ... comme si ce n'était pas la première fois qu'elle utilisait une arme, comme si elle en avait l'habitude. Etait-ce inné ? Peut-être. Mais Jaimee ne chercha pas, pour autant, la petite bête sur ce sujet. Pour elle, ça n'avait pas trop d'importance. Tant que ça ne l'empêchait pas de dormir la nuit, c'était le plus important, non ? Mais ce qu'elle ne savait pas, c'était que cette journée aurait, un jour ou l'autre, un impact sur sa vie.

(c) tumblr

Peut-être que cette aventure, c'était les prémices d'une autre aventure encore plus formidable, qui sait ? Quoi qu'il en soit, Jaimee ne pensa pas plus à cette histoire. Sa mère un peu plus peut-être parce qu'elle voulut que sa fille prenne des cours de self-défense, style aïkido et ju-jitsu. Et contre toute attente, Jaimee semblait très douée. Et elle aimait bien ça d'ailleurs. En quelque sorte, ça lui permettait d'évacuer sa colère, quand elle en avait, et son stress. Idéal, et plus efficace qu'une thérapie, pour sûr.

Jaimee termina le primaire afin de rentrer, ensuite, à l'université. Le droit, elle aimait beaucoup ça. Certes, sa mère aurait probablement aimé que sa fille embrasse la même carrière qu'elle, qu'elle se destine à la médecine, mais Jaimee n'était pas vraiment d'accord. Elle trouvait le droit bien plus intéressant. Elle voulait faire du droit international. Partir à l'étranger, parler d'autres langues que l'anglais. Dans ses études primaires, elle avait appris le français, l'allemand, et aussi l'espagnol. Et elle comptait bien parfaire la maîtrise de ses différentes langues à l'université, et en apprendre d'autres d'ailleurs. Jaimee avait une certaine affinité avec les langues. Ca rentrait tout seul. Elle pouvait apprendre des textes de dix kilomètres de long -j'exagère probablement un peu- sans aucun souci. Elle était douée. Alors, autant en profiter, non ? Quoi qu'il en soit, elle s'inscrivit donc à la fac pour faire du droit. Et comme elle avait beaucoup de trous dans son emploi du temps, Jaimee prit des langues en option facultative : du chinois et du russe. Ca occuperait toutes ses journées, ou presque, mais ça ne l'empêcherait pas de sortir et de faire la fête, comme tous les étudiants à la fac.

Justement, un soir, Jaimee sortit avec plusieurs camarades de classe. Une petite bouffe entre eux, avant d'assister à une petite fête dans un pub assez branché de la ville. Y'avait eu un petit concert, un groupe qui avait été invité et qui tentait de percer dans la vie. Ils s'étaient bien amusés. Mais la soirée dégénéra quelque peu. Enfin, pas vraiment. Ca aurait pu être bien pire, mais le pire avait été évité, pour sûr. Des gars passablement éméchés, parce qu'ils avaient bu comme des trous tout au long du mini concert, avaient eu dans l'idée que de draguer Jaimee et ses amies. A plusieurs reprises, elles les envoyèrent balader. Mais ils étaient plutôt lourdingues et très insistants. L'un d'eux tenta même sa chance et mit sa main aux fesses de Jaimee, ce qui fut une grossière erreur. Manu militari, elle lui attrapa la main et lui tordit sévèrement le poignet avant de lui placer un joli coup de poing sous le menton, l'envoyant sur ses chers camarades. Ils n'en demandèrent pas plus et se tirèrent bien vite. Encore une fois, ce petit incident allait avoir un impact sur la vie de Jaimee, et plus que ce qu'elle n'aurait pu le croire.

Deux jours plus tard, à l'heure du déjeuner, Jaimee était sur une table, à l'extérieur, en train de réfléchir à son sujet de dissertation. Elle savait déjà ce qu'elle allait noter, ou plutôt, ce qu'elle allait développer, mais il fallait qu'elle mette en ordre ses idées. Et pour se faire, elle avait commencé à rédiger un brouillon. Tout en se faisant, elle mangeait sa salade composée qu'elle avait préparée la veille. Et puis, un type s'approcha d'elle. Ou plutôt, il s'assit en face d'elle. Jaimee lui avait jeté un rapide coup d'oeil, sans s'attarder. Il portait un costume, et une cravate rayée bleue et blanche et il avait aussi des lunettes de soleil sur le nez. Pourquoi ne pas lui accorder une grande attention ? Et bien, parce qu'elle était concentrée sur ce qu'elle était en train de faire. Et puis, à aucun moment, Jaimee n'aurait pensé qu'il était là pour discuter avec elle. Au bout de quelques instants, à l'observer, il brisa finalement le silence, lui parlant de choses et d'autres. Si Jaimee l'écoutait d'une oreille distante, au départ, il arriva bien vite à captiver son attention lorsqu'il lui parla des petits incidents auquel il lui avait été donné d'assister : l'attaque à la banque il y avait de cela quatre ans, et le bottage de cul en règle au pub.

Jaimee se mit à se poser tout un tas de questions. Pourquoi ce type était là, qu'est-ce qu'il lui voulait, et pourquoi il lui reparlait de tout ça. Et très honnêtement, elle ne s'était pas vraiment attendue à la réponse. Apparemment, il la surveillait depuis pas mal de temps. Et il voulait savoir si elle souhaitait rejoindre les rangs du gouvernement afin d'aider et de défendre son pays. Quand on est jeune, qu'on a la tête pleine de rêves, on cherche à se rendre utile et à faire quelque chose de bien. Alors, le sang de Jaimee ne fit qu'un tour. Comment refuser une telle proposition, même si elle ne connaissait pas encore tous les enjeux et qu'elle ne savait pas encore ce que ça signifiait réellement.

Dans les semaines qui suivirent, Jaimee passa tout un tas de tests pour savoir si elle pouvait devenir un agent du SIS. Tests psychologiques, tests physiques, tests écrits. Brèfle, un peu tout et rien. Mais la jeune femme semblait être douée. Du moins, selon ceux qui faisaient passer les tests. Bon, certes, il lui resterait tout un tas de choses à apprendre, et elle ne deviendrait pas un agent en un clin d'oeil. Mais David, celui qui était venu lui parler à l'université, était pratiquement certain qu'elle deviendrait un bon agent et qu'elle pourrait faire quelque chose de bien dès qu'elle rentrerait dans les rangs.

Sa première année au sein du SIS fut ... comment dire ... partagée entre la théorie, la pratique, et ses cours à l'université. Car oui, il était hors de question, pour Jaimee, que de stopper totalement ses études. Elle voulait son diplôme, histoire d'avoir une porte de sortie, en quelque sorte, et elle voulait continuer l'apprentissage de diverses langues. D'ailleurs, à ce propos, elle en voyait tout l'intérêt, à présent, que d'apprendre différentes langues. Bah oui, ça lui éviterait que d'avoir recours à un traducteur quand elle se rendrait dans tel ou tel pays. Et au maximum, elle pourrait se débrouiller dans un grand nombre de pays. Ca serait tip top, super tip top.

Quoi qu'il en soit, il fallut bien deux longues années pour que Jaimee soit formée et qu'elle aille finalement sur le terrain. Deux années durant lesquelles elle termina, par la même occasion, ses études de droit et où elle obtint son diplôme avec mention très bien. Elle aurait pu continuer, faire quelques années de plus pour devenir, pourquoi pas, avocate, mais elle n'en voyait pas vraiment l'utilité. Ou tout du moins, ça serait bien trop compliqué que de s'engager sur cette voie. Bien sûr, elle ne pouvait pas dire à ses parents qu'elle travaillait pour le gouvernement. Alors, à la place, elle disait qu'elle était secrétaire dans un cabinet juridique, et ça passait bien auprès de ses proches.